Tuesday, April 07, 2009

Maroc: les coups redoublent...
07 Avril 2009 Par Niko
Aujourd’hui 7 avril, cela fait 53 jours que 3 prisonniers sahraouis, Brahim Baryaz, Khalihenna Abu Alhassan, Ali Salem Ablagh sont en grève de la faim à la prison Boulemharez de Marrakech. Ils risquent d’y laisser leur peau. Brahim Baryaz a été hospitalisé d’urgence lundi 30 mars. Avant-hier 5 avril, ce fut le tour de Khalihenna Abu Alhassan, incapable de bouger ni de parler. Entre temps, ils ont pu samedi 4 faire parvenir un communiqué aux associations de défense des prisonniers, avertissant qu’ils cesseraient à partir de lundi et pour 48 heures de prendre l’eau et le sucre qui les maintiennent encore en vie. Pourquoi une telle prise de risque ?
Pour réclamer des conditions d’incarcération décentes et revendiquer le statut de prisonniers d’opinion. Car ce sont de jeunes militants, qui ont manifesté publiquement en faveur de l’indépendance du Sahara occidental. Au Maroc, c’est un délit selon la loi ! Mais comme, lors des procès, des observateurs internationaux viennent de plus en plus souvent assister, on brouille les pistes en les chargeant aussi de délits ou de crimes de droit commun (accusation de « tentative d’homicide » contre Brahim et Ali Salem).
Ce ne sont pas les seuls à proclamer leur choix politique : ils sont plusieurs centaines à être passés dans les geôles de Mohammed VI depuis les premières grandes manifestations pro-indépendance de mai 2005, fortement réprimées ; ils sont aujourd’hui encore des dizaines, condamnés ou en attente d’être jugés, dans les prisons de Bensliman, Taroudant, Ait Melloul, Inzegan (au Maroc), sans oublier la Prison noire (Carcel negra) d’El Aïoun, au Sahara occidental occupé.
Il n’y a pas que l’emprisonnement et les procès plus ou moins iniques. Il y a aussi les passages à tabac, les tortures, les viols de domicile avec destruction systématique, et les viols tout court. Significativement, dans un pays musulman où la pudeur est une valeur profondément ancrée, une jeune fille de 16 ans, Hayat Rgueibi, a eu le courage de braver le tabou pour révéler le viol dont elle a été victime de la part de policiers marocains à El Aïoun, le 22 février dernier, malgré les « démentis » officiels de son père (ci-joint le lien pour écouter son témoignage vidéo, transcrit en espagnol)
Depuis le passage de la Délégation ad-hoc du Parlement européen au Sahara, le 27 janvier 2009, les coups redoublent, et particulièrement contre les femmes et les mineurs, que la Délégation a pourtant demandé de protéger en priorité.
Comme si la dénonciation de l’état des droits humains dans ce territoire non autonome, où le seul pouvoir de police est assuré par l’occupant marocain, l’avait mis en rage. Comme un aveu d’impuissance, peut-être. Mais rien ne dit qu’il lâchera prise bientôt. Tout indique au contraire qu’il ne faut pas laisser les civils sahraouis seuls face à lui.
Un fameux rapport
Après le 14 mars où fut publiée par El Pais une première mouture du rapport de la Délégation ad-hoc du Parlement européen sur le Sahara Occidental, les médias officiels marocains (MAP, Aujourd’hui le Maroc, Le Matin…) ont montré une agitation vraiment frénétique :
La publication du rapport par El Pais : une manipulation des « séparatistes » (les partisans du F. Polisario).
Le contenu du rapport : un tissu d’« erreurs et d’idées tendancieuses ».
La dernière mouture du rapport (après l’intervention appuyée des officiels marocains auprès de la Délégation et de divers députés européens) : une « version revue et corrigée qui balaie d'un revers de main une série d' ‘impairs’ et d' ‘amalgames’ ‘savamment orchestrés’ par certains Eurodéputés’ » (Aujourd’hui le Maroc, 25/03/09).
Les lobbies pro-marocains se sont en effet démenés à Bruxelles, de la mi février jusqu’au 17 mars où fut publiée la version officielle du rapport.
Ils ont obtenu des atténuations. Ils ont obtenu un peu de cette eau tiède qui caractérise les documents publiés par les organisations politiques de type ONU, Union européenne, etc. quand des intérêts divergents sont en jeu.
Mais l’essentiel est resté :
1) Un constat : la persistance des « atteintes récurrentes aux droits de l’homme, notamment à la liberté d'expression, d'association, de manifestation, de communication, de mouvement et d'accès à la justice », au Sahara sous contrôle marocain en particulier.
2) Un rappel : « Conformément au droit international, le statut de territoire non autonome ne cesse que par l'exercice du droit à l'autodétermination. La situation des droits de l'homme des Sahraouis est intrinsèquement liée à l'impossibilité, jusqu'à ce jour, de résoudre cette question de l'exercice de l'auto-détermination. »
Ce point est capital car il resitue le contexte politique du conflit, mettant le droit à l’autodétermination au centre des droits humains des Sahraouis ; au grand dam des Marocains qui voudraient faire admettre que l’autodétermination est dépassée, ou alors qu’elle n’implique pas un choix libre, mais la simple acceptation de leur projet d’autonomie sous souveraineté marocaine…
3) Une recommandation : la Délégation « propose que le mandat des Nations Unies inclue le monitoring de la situation des droits de l'homme dans la région. » Elle appelle « l'Union européenne, notamment par le biais des États Membres qui participent au Conseil de Sécurité, à travailler dans ce sens. » Il s’agit bien de ne plus laisser les civils sahraouis seuls face à l’occupant.
La France avait opposé son veto à la publication du rapport du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU, à l’été 2006, qui mettait lui aussi le droit à l’autodétermination au centre des droits humains des Sahraouis ; osera-t-elle cette fois s’élever contre la recommandation du Parlement européen, lors de la prochaine résolution du Conseil de Sécurité fin avril 2009 ?
4) Une seconde recommandation, qui invite la Commission européenne, « à travers sa Délégation à Rabat, de suivre la situation des droits de l'homme au Sahara occidental et d'envoyer régulièrement des missions d'information sur place », et d’en tenir le Parlement informé. On n’oublie pas que le statut de « pays avancé » octroyé au Maroc en octobre 2008 par l’UE n’est pas sans condition, en particulier celle de respect des droits de l’homme…
Voilà donc quelques coups contre le royaume. Des coups que la majorité des gens en Europe risquent de continuer d’ignorer, tant la promotion touristique du pays est une machine bien huilée.
Mais qui s’ajoutent à une liste impressionnante de rapports documentés et déconciateurs :
- celui de Human Rights Watch « in the Western Sahara and in the Tindouf Refugee Camps », le 19 décembre 2008
- celui d’Amnesty International 2008, chapitre « Maroc et Sahara Occidental »
- celui de l’U.S. Departement of State, février 2009 (« 2008 Human Rights Report : Western Sahara »)
- et l’ONG Freedom House qui publie Worst of the Worst 2009 (The World’s most repressive societies) avec des chiffres éloquents : sur une échelle de 1 à 7, où 7 est le plus mauvais score, la colonne des Political rights, les « droits politiques », affiche 5 pour le Maroc, mais 7 pour le Sahara Occidental, et la colonne des Civil liberties, les « libertés civiques », affiche 4 pour le Maroc, mais 6 pour le Sahara Occidental… Il est clair qu’il ne s’agit pas du même pays, même si le peuple marocain a aussi sa part de répression.
Le Sahara Occidental occupé est depuis trop longtemps un espace de non droit, un espace sous silence. C’est pourquoi Brahim, Khalihenna et Ali Salem risquent de mourir ostensiblement.
http://www.mediapart.fr/club/blog/niko/070409/maroc-les-coups-redoublent

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