Histoire. Comment le Maroc a été vendu
07 Aoû 2012 - Par : Karim Boukhari / Telquel-online
Le protectorat n’a pas commencé en 1912, mais dès 1830. Endettés, menacés, dépassés, les sultans ont préféré brader le royaume plutôt qu’abandonner le trône. Enquête sur les secrets financiers et les intrigues politiques qui ont conduit le pays à la plus grande humiliation de son histoire.
Il est a priori facile de dater l’histoire du protectorat : 1912 – 1956. Mais ce n’est qu’une apparence, une vitrine officielle. En réalité, l’histoire est plus longue et beaucoup plus complexe qu’on ne pourrait le croire. Quand, exactement, tout a-t-il commencé ? La réponse dépend des écoles. Politiquement, comme on peut le lire chez Abdellah Laroui, “l’Etat marocain a cessé d’exister à partir de 1880” (in L’Histoire du Maghreb), c’est-à-dire au moment où un rendez-vous important, la conférence de Madrid, a placé le royaume sous contrôle international. Militairement, le pays s’est effondré dès 1844, au lendemain de la bataille d’Isly. Economiquement, il a subi des récessions de plus en plus fortes tout au long du 19ème siècle.
Alors, quelle date retenir ? Consensuellement, la plupart des historiens s’accordent sur l’importance symbolique de l’année 1830. “C’est là, avec l’arrivée de la France en Algérie, que l’histoire marocaine a définitivement basculé”, résume le chercheur Mustapha Bouaziz. L’irruption brutale de l’Europe et de son cortège de valeurs agressives (ses armées, ses politiques, son système économique) a plongé le Maroc dans une sorte de purgatoire. C’est l’année où le compte à rebours devant aboutir à un protectorat en bonne et due forme est enclenché.
Quand le vent du nord a souffléNous sommes donc en 1830, en plein cœur de ce siècle où la face du monde est en train de changer. Pendant que la révolution industrielle (chemins de fer, réseaux routiers, exploitation des sous-sols, développement maritime, matériel de guerre, etc.) et la croissance économique gagnent le monde occidental à toute vitesse, le Maroc vit en autarcie, fermé, jalousement replié sur lui-même. De l’intérieur, le pays bouillonne, soumis aux soubresauts d’une folle instabilité politique. L’anarchie régnante fait ressembler l’ancien empire à un homme au bord de la crise de nerfs. Les sultans se succèdent à un rythme frénétique. En un siècle, depuis la mort de Moulay Ismaïl, le pays a connu pas moins de 20 règnes. Certains sultans n’ont régné que quelques mois à peine, alors que d’autres ont pu, à la faveur de coups d’Etat et de renversements d’alliances, abdiquer avant de retrouver leur trône plusieurs années plus tard : à lui seul, le sultan Abdallah II a ainsi accumulé six règnes intercalés d’autant d’intermèdes.
Le pays est globalement coupé en deux : le bled Makhzen (plaines, ports, grandes villes) soumis à l’autorité du sultan, et le bled siba (montagnes) dissident. Les frontières entre les deux Maroc fluctuent selon la fréquence et la portée des harkas, les expéditions punitives menées par le sultan en personne.
L’organisation de la vie sociale repose sur des règles héritées du Moyen-Age. Agriculture, élevage et artisanat constituent l’essentiel de l’activité économique. Le volume du commerce interne est faible du fait de la difficulté du transport : les routes sont inexistantes et l’insécurité est telle que le pays ressemble à un ensemble d’enclaves. Les déplacements sont lents, coûteux et extrêmement dangereux. Les villes fonctionnent pratiquement sous un régime d’autonomie alimentaire et la campagne est contrôlée par les tribus locales. La vie sociale est par ailleurs rythmée par les cycles de famines et d’épidémies. L’enseignement est réduit à sa plus simple expression (le religieux) et reste confiné dans les médersas-mosquées. Et il n’existe d’autre médecine que la traditionnelle, à base d’herbes et de produits-miracles.
Alors, quelle date retenir ? Consensuellement, la plupart des historiens s’accordent sur l’importance symbolique de l’année 1830. “C’est là, avec l’arrivée de la France en Algérie, que l’histoire marocaine a définitivement basculé”, résume le chercheur Mustapha Bouaziz. L’irruption brutale de l’Europe et de son cortège de valeurs agressives (ses armées, ses politiques, son système économique) a plongé le Maroc dans une sorte de purgatoire. C’est l’année où le compte à rebours devant aboutir à un protectorat en bonne et due forme est enclenché.
Quand le vent du nord a souffléNous sommes donc en 1830, en plein cœur de ce siècle où la face du monde est en train de changer. Pendant que la révolution industrielle (chemins de fer, réseaux routiers, exploitation des sous-sols, développement maritime, matériel de guerre, etc.) et la croissance économique gagnent le monde occidental à toute vitesse, le Maroc vit en autarcie, fermé, jalousement replié sur lui-même. De l’intérieur, le pays bouillonne, soumis aux soubresauts d’une folle instabilité politique. L’anarchie régnante fait ressembler l’ancien empire à un homme au bord de la crise de nerfs. Les sultans se succèdent à un rythme frénétique. En un siècle, depuis la mort de Moulay Ismaïl, le pays a connu pas moins de 20 règnes. Certains sultans n’ont régné que quelques mois à peine, alors que d’autres ont pu, à la faveur de coups d’Etat et de renversements d’alliances, abdiquer avant de retrouver leur trône plusieurs années plus tard : à lui seul, le sultan Abdallah II a ainsi accumulé six règnes intercalés d’autant d’intermèdes.
Le pays est globalement coupé en deux : le bled Makhzen (plaines, ports, grandes villes) soumis à l’autorité du sultan, et le bled siba (montagnes) dissident. Les frontières entre les deux Maroc fluctuent selon la fréquence et la portée des harkas, les expéditions punitives menées par le sultan en personne.
L’organisation de la vie sociale repose sur des règles héritées du Moyen-Age. Agriculture, élevage et artisanat constituent l’essentiel de l’activité économique. Le volume du commerce interne est faible du fait de la difficulté du transport : les routes sont inexistantes et l’insécurité est telle que le pays ressemble à un ensemble d’enclaves. Les déplacements sont lents, coûteux et extrêmement dangereux. Les villes fonctionnent pratiquement sous un régime d’autonomie alimentaire et la campagne est contrôlée par les tribus locales. La vie sociale est par ailleurs rythmée par les cycles de famines et d’épidémies. L’enseignement est réduit à sa plus simple expression (le religieux) et reste confiné dans les médersas-mosquées. Et il n’existe d’autre médecine que la traditionnelle, à base d’herbes et de produits-miracles.
...lire la suite:
No comments:
Post a Comment