Sunday, March 23, 2014

Deux enfants sahraouis violentés par les forces de l’ordre à El Aaiun

‎15 ‎janvier ‎2014 | Olivier QuaranteAccéder à l’article complet

Labat et sa mère montrant le lieu de l'agression. Photo prise le 23 décembre par Lilith Marceau
Labat et sa mère montrant le lieu de l’agression. Photo prise le 23 décembre par Lilith Marceau
Avant de publier les témoignages suivants, Nouvellesdusahara.fr a vérifié auprès de plusieurs sources la fiabilité des deux cas de violences policières qui concernent des enfants Sahraouis. Selon toute vraisemblance, Ahmed et Labat, 12 et 8 ans, ont été frappés par des membres de la police marocaine le 23 novembre et le 10 décembre.
Michèle Decaster, une Française, militante de la cause sahraouie au sein de l’AFASPA (1), dont elle est secrétaire générale, s’est rendue au Sahara occidental sous occupation marocaine fin décembre 2013. Lors de son séjour à El Aaiun, elle a pu rencontrer deux enfants Sahraouis, Ahmed et Labat, et a recueilli directement leur témoignage.
La traduction était assurée par une personne de confiance, que Nouvellesdusahara.fr a déjà rencontrée, et qui maîtrise parfaitement le français.
Deux membres de l’association sahraouie ASVDH, interdite comme toutes les associations créées par des Sahraouis, ont eux-mêmes rencontré les enfants et leur famille et ont pu confirmer auprès de Nouvellesdusahara.fr la teneur de leurs propos. Ils ont également rappelé que ce n’est pas la première fois que des enfants sont victimes de violences policières mais ces deux histoires figurent parmi les cas les plus graves.
 
Ahmed, 12 ans 
Ahmed Gargar en décembre 2013, 12 jours après l'agression. Photo de Lilith Marceau.
Ahmed Gargar le 21 décembre 2013, 11 jours après sa première agression et le jour même de la seconde agression dont il a été victime. Photo de Lilith Marceau
Né le 20 septembre 2001 à Youssifia dans  la province de Safi au Maroc d’où est originaire sa mère, Ahmed vit avec son père -Sahraoui- et le reste de sa famille à El Aaiun, « capitale » du Sahara occidental.
Ce 10 décembre 2013, il manifeste avec ses parents, au milieu de beaucoup d’autres adultes et enfants (2). Particulièrement depuis mai dernier et le nouveau refus du Conseil de sécurité de l’ONU de créer un mécanisme de surveillance des droits de l’homme au Sahara occidental, les manifestations se multiplient dans les principales villes de ce territoire et réunissent des centaines de Sahraouis, bravant l’interdiction de manifester et la répression policière qui ne manque pas de s’abattre sur eux.
« Cinq policiers m’ont frappé avec leurs matraques »
« Nous faisions un sit-in rue Gods, près du quartier Maatala, à l’occasion de la journée des droits de l’homme« , raconte Ahmed à Michèle Decaster le 22 décembre. « Et puis, les policiers sont arrivés. Ils avaient des casques et nous jetaient des pierres et des bouteilles en verre pour que l’on parte. J’ai reçu une pierre derrière ma tête. Cinq policiers m’ont entouré et frappé avec les matraques sur mes jambes et mes pieds. Il y avait d’autres personnes autour de moi qui ont été frappées aussi. J’ai été soigné par ma voisine, une femme sahraouie. Je ne suis pas allé à l’école pendant 3 jours. »
L’enfant présente une seconde blessure. La militante française lui demande : « quand l’as-tu reçue ? » Ahmed répond, avec force détails : « Hier midi, à la sortie de l’école. Une petite manifestation s’est formée, nous étions une trentaine de personnes. Les femmes faisaient des « You You ». Les policiers, des GUS (Groupe Urbain de Sécurité, type de CRS), sont arrivés dans leur fourgon bleu (3). Ils étaient 12 avec les casques sur la tête. Les enfants ont commencé à leur jeter des pierres et les policiers ont fait pareil. J’ai couru vers la maison de ma tante mais un policier m’a attrapé. Il m’a fait monter dans le fourgon. Il m’a giflé. Il a arraché mon pansement et appuyé sur ma blessure pour me faire mal ; il a dit « je vais lui faire une jumelle ». Il a pris son coupe-ongle de sa poche et avec la petite lame, il a coupé un morceau de peau derrière ma tête. Deux autres policiers me tenaient les pieds et les mains pendant ce temps. Ils m’ont obligé à chanter la fin de l’hymne national marocain« .
 
Labat, 8 ans
Labat Moussaoui en décembre 2013. Photo prise le 23 novembre, jour de l'agression, par la famille.
Labat Moussaoui en décembre 2013. Photo prise le 23 novembre, jour de l’agression, par la famille.
Selon Michèle Decaster, le traumatisme psychique semble plus grand encore chez cet enfant né le 25 avril 2005. Résultat : Labat n’a pas parlé, c’est sa mère qui a raconté ce qui lui est arrivé le 23 novembre 2013. Vu le 23 décembre dernier, l’enfant paraissait encore choqué, relève Michèle Decaster. « Il nous montrait l’état de sa bouche en tirant sur sa lèvre inférieure« , précise-t-elle. L’enfant accompagne sa mère aux sit-in pacifiques réclamant la libération des prisonniers de Gdeim Izik (elle est membre de la coordination, car elle a un parent, Mohamed Bourial, qui a été condamné à 30 ans de prison par le Tribunal militaire de Rabat en février 2013).
La mère de Labat, Lafkir Oum Lkhoit, raconte :
« C’était le 23 novembre 2013 à 16 heures. Mon fils jouait près de chez nous dans la rue Taha Hssine avec deux amis, l’un de 4 ans et l’autre de 5 ans. Labat était le plus grand. Il n’y avait aucune manifestation, ni aucun sit-in dans les environs. Une fourgonnette bleue de police est arrivée. Cinq policiers en tenue sont descendus. Les deux petits se sont sauvés quand les policiers se sont approchés. L’un d’eux a mis un violent coup de pied à mon fils au menton. Le bout des chaussures est renforcé par du métal. Il a eu la mâchoire déformée et plusieurs dents cassées. Une femme a entendu un policier dire «Frappe-le, frappe-le, tue-le ! Encore, encore ! Il n’y a personne…». Elle a vu la voiture de police démarrer, elle a pris le numéro d’immatriculation : 16 40 61 H. Mon petit était allongé parterre. Une voisine l’a ramené à la maison où j’étais alitée, très malade. Des gens étaient présents mais ils n’ont pas voulu témoigner, ce sont des Marocains, ils ont peur.
« Mon fils a passé une semaine sans parler. Il était nourri par sonde. Il n’absorbait que du liquide. Il a été opéré par le Docteur Mohamed Amine Dahik spécialiste en ORL et chirurgie cervico-faciale. »
Cette femme a déposé plainte le 5 décembre auprès du Procureur général du Tribunal d’El Aaiun. Ce qui a été confirmé par l’ASVDH qui la soutient. Mais, elle n’a pas été contactée dans le cadre d’une enquête. Les parents de l’enfant Ahmed ont semble-t-il porté plainte également.
Une plainte doit être déposée auprès du Conseil national des droits de l’homme et sa section d’El Aaiun.
On peut s’interroger sur la suite qui sera donnée à ses plaintes, étant donné que l’usage, relevé notamment par Juan Mendez, rapporteur spécial sur la torture et les mauvais traitements auprès de l’ONU, veut qu’il y ait une impunité totale des autorités marocaines vis-à-vis des auteurs de violences.
 
(1)www.afaspa.com
(2)Ahmed précise qu’il manifeste pour soutenir les prisonniers politiques sahraouis et dénoncer la mort d’un parent, Gargar Babi Mahmoud, tué le jour de la destruction du campement de Gdeim Izik, le 8 novembre 2010.
(3)L’immatriculation du fourgon, 16 40 35, a été relevée par un proche.

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