LE MONDE 31.07.09
DAKHLA (SAHARA OCCIDENTAL) ENVOYÉE SPÉCIALE
Ici, on a les yeux tournés vers la Mauritanie bien plus que vers le nord du Maroc. Rabat et Casablanca, à 1 700 km de là, paraissent très loin... Dakhla, ville du Sahara occidental sous administration marocaine depuis trente ans, est aujourd'hui en plein essor. On a peine à reconnaître la grosse bourgade de pêcheurs aux ruelles de sable balayées par le vent qu'elle était il y a quelques années.
C'est à présent une ville large et plate, en chantier de bout en bout, qui s'étale le long d'une lagune de 400 km2. Partout, des immeubles bas, couleur de sable, et une foule de petits commerces : ateliers de réparation, boutiques de vêtements, cafés et restaurants aux enseignes telles que Casa Luis ou La Real, qui rappellent que la région, avant d'être annexée par le Maroc, a été une colonie espagnole sous le nom de Rio de Oro, et que les Canaries ne sont qu'à 400 km à vol d'oiseau.
Dakhla, ex-Villa Cisneros, n'a pas grand charme, mais elle est propre et bien tenue. Les femmes se promènent deux par deux dans les rues, à toute heure du jour et de la nuit, drapées du melhfa, (le vêtement sahraoui traditionnel), mais le visage découvert.
Située sur une péninsule sablonneuse d'une quarantaine de kilomètres, sur le tropique du Cancer, Dakhla est un peu la caverne d'Ali Baba du royaume avec ses 660 km de côte et sa lagune : poulpes, pageots, daurades, langoustes... C'est l'un des endroits les plus poissonneux du monde. Près de 65 % de la production halieutique du Maroc proviennent de là. Arrivant par dizaines de milliers du nord du Royaume, les pêcheurs marocains ont longtemps puisé sans discernement dans ce trésor avant que la crise du poulpe en 2002 sonne le signal d'alarme. Les stocks de ce mollusque si prisé des Japonais se sont brusquement effondrés. Il a fallu adopter une approche très scientifique, limiter les saisons de pêche, et surtout imaginer d'autres secteurs d'activité.
Si le chômage reste élevé à Dakhla (de l'ordre de 16 %), les subventions de tous ordres versées par Rabat, comme partout au Sahara occidental - exonérations de taxes sur le lait, la farine, le sucre, l'essence... - apaisent quelque peu les contestations.
A l'inverse d'El Ayoun, la plus importante des villes du Sahara occidental, Dakhla est peu politisée. Les Sahraouis cohabitent sans tension apparente avec les "Marocains de l'intérieur" comme on les surnomme ici. Mais une certaine amertume de leur part est perceptible. Beaucoup ont le sentiment qu'on vient "piller" leurs richesses et s'estiment spoliés.
Tout est question de tribu, ici comme partout au Sahara occidental. Le fait que les Ouled Dlim, la tribu dominante, entretiennent de longue date de bons rapports avec la monarchie évite que le climat soit conflictuel. En 2005 et 2006, Dakhla n'a cependant pas échappé au mouvement de révolte qui a gagné les principales villes du Sahara occidental et fait craindre une "Intifada" sahraouie.
Des heurts violents se sont produits. Des slogans indépendantistes ont fleuri tandis que surgissaient les couleurs de la République arabe sahraouie démocratique (RASD). La répression des autorités marocaines a été brutale. Mais la tension a fini par retomber. A Dakhla, en tout cas, le pragmatisme l'emporte sur le reste. "Nous ne renoncerons pas à l'identité sahraouie, mais puisque le pouvoir central veut nous garder, sachons en tirer profit !" : tel est, dans l'ensemble, l'état d'esprit. Le Maroc, il est vrai, met les moyens pour faire de Dakhla la vitrine de sa réussite au Sahara occidental, alors qu'il tente de faire accepter par la communauté internationale un plan d'autonomie excluant toute idée d'indépendance pour les Sahraouis. Entre 2004 et 2009, la ville a bénéficié d'un programme de développement de 100 millions d'euros. Une nouvelle enveloppe de 30 millions d'euros vient de lui être allouée pour les trois années à venir.
Si la pêche et ses produits dérivés continuent de fournir l'essentiel des emplois des 130 000 habitants de la région, l'agriculture prend une place croissante. Quelque 36 000 tonnes de tomates, concombres, melons, salades, notamment, sont produites chaque année. Il ne pleut jamais ici, mais l'importante nappe phréatique permet la culture en serre. "Importante mais pas inépuisable", s'inquiète toutefois Lahcen Mahraoui, chercheur et scientifique qui a organisé, en mai à Dakhla, un colloque consacré à la sauvegarde des espaces sahariens.
Avec son ciel bleu, sa température qui oscille entre 18 et 25 degrés et un vent à décorner les boeufs, Dakhla est destinée à devenir un haut lieu touristique. "Notre problème, c'est de faire connaître la région. Les festivals que nous organisons ici chaque année n'ont pas d'autre but", explique El Mami Boussif, le président de la région. Lancé il y a trois ans, le festival Mer et désert, qui met l'accent sur la planche à voile et le kite-surf, remporte un succès grandissant. Et un festival international du cinéma s'est ouvert il y a deux ans. Mais la ville peine à suivre le rythme de ses ambitions. "Il y a plein de choses à faire, et elles sont toutes prioritaires !", reconnaît Ahmed Hajji, le directeur de l'agence du Sud qui pilote les projets.
Parmi les urgences : finir les travaux d'assainissement de Dakhla. Déplacer la décharge de la péninsule. Rééquilibrer l'urbanisme, en amenant la ville à se tourner vers l'océan, et pas seulement vers la lagune. Eradiquer le dernier bidonville. Construire un centre de conférence, une école de tourisme. Désenclaver la ville en multipliant les liaisons aériennes...
Comment Dakhla réussira-t-elle à gérer son succès ? Tous les responsables de la région, à commencer par le wali, Hamid Chabar, assurent qu'ils ont à coeur de développer un tourisme durable, qui tiendra compte de l'écologie. "L'avenir de Dakhla, c'est un tourisme de niche, s'intégrant dans le milieu naturel, promet El Mami Boussif. Pas question d'en faire un nouveau Dubaï !"
par: Florence Beaugé
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2009/07/31/
au-sahara-occidental-dakhla-et-sa-lagune-poissonneuse-se-
transforment-en-vitrine-de-la-reussite-du-maroc_1224628_3212.html