AFFAIRE BEN BARKA : Ce que l’on ne vous a jamais dit
Abdellatif El Azizi 24 Novembre 2007
Intox, barbouzeries et manipulations diverses, effets de manche et justice politicienne, jamais l’affaire Ben Barka n’aura connu autant de rebondissements. Sans pour autant que le dossier avance. Retour sur une affaire aux contours de plus en plus incertains.
Mehdi Ben Barka.
Max Fernet, Jacques Aubert, Louis Zollinger, Jacques Foccart, Paul Jacquier et Simbille
Le dernier épisode de l’affaire Ben Barka ne manque pas de piquant. Un ex-barbouze soupçonné d’avoir enlevé, torturé et assassiné le leader de la gauche, qui rompt le silence après plus de quarante ans, pour intenter une action en justice contre le juge français Ramaël, voilà de quoi alimenter une chronique judiciaire bien en mal de révélations. Ainsi, l’avocat de Miloud Tounzi a fait état vendredi dernier du dépôt d’une plainte pour «violation du secret de l’instruction et recel». «C’est avec la plus grande stupéfaction que le 19 octobre dernier monsieur Miloud Tounzi a appris par monsieur Joseph Tual, journaliste à France 3, qu’un mandat d’arrêt international allait être émis contre lui», s’est contenté d’indiquer l’avocat du fameux «Chtouki» dans un communiqué transmis à l’AFP. Me Philippe Clément a précisé que son client n’avait auparavant «jamais fait l’objet de la moindre convocation par le magistrat en charge du dossier» et que par conséquent, sa présomption d’innocence a été violée. Quant à la plainte, elle a été déposée le 13 novembre auprès du procureur de la République de Paris, une information que nous avons bien confirmée auprès de sources judiciaires françaises. Selon des sources bien informées, Tounzi a joint dans sa plainte une pièce à conviction de taille : l’enregistrement de conversations téléphoniques qui proviennent d’un personnage qui se faisait passer pour un journaliste bien connu. Comme seule une expertise judiciaire permettra de déterminer si la voix qui figure dans les enregistrements est bien celle du journaliste, la seule chose qui paraît claire aujourd’hui, c’est que Tounzi a été à plusieurs reprises «invité à quitter précipitamment le Maroc en raison du fait que sa vie était en danger. Les appels en provenance de Paris revenaient souvent sur cette éventualité insistant sur le fait que des généraux marocains étaient décidés à faire disparaître l’homme en raison de son implication dans l’affaire Ben Barka». Tounzi aurait même reçu des garanties pour que son exil politique en France, en Espagne ou au Canada soit facilité et agrémenté d’une bonne rente.
Riposte La sortie inattendue de Tounzi tombe quelques jours à peine, après la scabreuse histoire des quatre mandats d’arrêt, visant notamment de hauts responsables marocains, qui viennent à peine d’être diffusés par Interpol, dans le cadre de l’enquête menée en France sur la disparition de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka en 1965. Rappelons que le 22 octobre, le juge d’instruction du Tribunal de grande instance de Paris en charge de cette enquête, Patrick Ramaël, avait signé cinq mandats d’arrêts internationaux. Qui visent le chef de la gendarmerie royale marocaine, le général Hosni Benslimane, l’ancien chef des services de renseignement le général (à la retraite) Abdelkader Kadiri, Abdelhak Achaachi, ancien agent du Cab 1 et enfin Miloud Tounzi, membre présumé du commando qui a enlevé l’opposant marocain, une unité d’élite des services secrets marocains. Une information qui tombait au moment même où Sarkozy mettait les pieds au Maroc. Réponse du berger à la bergère, Tounzi vient donc de renvoyer la balle dans le camp français. C’est de bonne guerre. Le procédé annonce sans doute un revirement certain et une nouvelle stratégie de la partie marocaine quant au traitement de ce dossier. Désormais, on riposte. Dès qu’un responsable marocain est épinglé, on ne se met plus aux abonnés absents. Dixit Yassine Mansouri et le juge Garzon. Une affaire qui n’a rien à voir avec le dossier Ben Barka, mais qui dénote d’un nouvel état d’esprit : le patron de la DGED n’a pas hésité à menacer le juge de le poursuivre en justice pour avoir été cité comme tortionnaire dans une sombre plainte concoctée par des polisariens. En tout cas, aujourd’hui, la plainte de Chtouki remet en question toute la procédure employée jusqu’à présent dans cette affaire comme elle replace l’enquête dans son élément originel, à savoir que l’assassinat de Mehdi Ben Barka, avant d’être une affaire franco marocaine, est aussi une affaire franco française.