DIPLOMATIE • Crise ouverte entre l'Espagne et le Maroc
La visite de Juan Carlos à Ceuta et Melilla, les 5 et 6 novembre, provoque une dégradation brutale des relations entre les deux royaumes, constatent leurs presses respectives.
AFP
"Ceuta et Melilla sont un abcès récurrent des relations bilatérales. Tôt ou tard il faudra le crever", note le quotidien L'Economiste de Casablanca. La visite du roi Juan Carlos dans les deux enclaves espagnoles situées en territoire marocain provoque en effet la colère de Rabat. Pour le quotidien Aujourd'hui le Maroc, il s'agit ni plus ni moins d'une provocation 'coloniale' de la part des Espagnols ; qui ont choisi la date du 6 novembre, jour où le peuple marocain commémore le 32e anniversaire de la Marche verte, l'expédition lancée par Hassan II en 1975 pour imposer l'autorité du Maroc sur le Sahara-Occidental. Aujourd'hui le Maroc souligne également que la visite royale coïncide avec l'annonce de poursuites contre des personnalités marocaines par le juge espagnol Baltazar Garzón et les mesures prises à l'encontre de Marocains résidant dans des bidonvilles aux abords de Madrid. Outre le symbole, L'Economiste cherche à comprendre les vraies raisons qui ont poussé le souverain espagnol à se rendre à Ceuta et Melilla. "Maladresse diplomatique ou diversion ?" interroge le quotidien, qui y voit une coïncidence avec le récent voyage au Maroc de Nicolas Sarkozy. Le déplacement du roi serait pour l'Espagne une "manœuvre géostratégique." "Il y a tant d'intérêts communs que la rupture diplomatique reste à exclure", se rassure cependant L'Economiste. Un avis que ne partage pas le quotidien Libération, qui note que le Maroc tout entier est mobilisé contre cet "acte de provocation de l'Espagne à l'égard de la souveraineté marocaine et à l'adresse du peuple marocain, qui vise à normaliser l'occupation". Libération approuve la décision du gouvernement de rappeler pour 'consultation' l'ambassadeur du Maroc à Madrid et le gel de la commission mixte marocco-espagnole. Côté espagnol, les réactions au voyage de Juan Carlos ainsi qu'aux remontrances du Maroc ne se partagent pas – comme souvent en Espagne – entre droite et gauche. Le quotidien de centre gauche El País, par exemple, explique que "trente-deux ans après leur accession au trône, le roi et la reine d'Espagne visitent le seul coin de territoire espagnol où il n'avait pas encore posé les pieds. On peut discuter de l'opportunité de la date choisie, mais la vraie anomalie réside dans le fait que le chef de l'Etat ne s'était pas encore rendu sur place. Promesse tenue, donc." Le quotidien conservateur ABC, pour sa part, explique à ses lecteurs que "le Maroc est un voisin susceptible, incommode et hypocrite". De plus, "l'Espagne était chez elle à Ceuta et Melilla bien avant l'existence géopolitique du Maroc". Le même quotidien n'hésite d'ailleurs pas à traiter le régime chérifien de "satrapie" et à se moquer de cette montée soudaine de fièvre en rappelant que "le Maroc ne pouvait rêver, en la personne de Zapatero, d'un Premier ministre plus favorable à ses intérêts. Au point, ajoute ABC, d'avoir irrité deux autres acteurs de la région – les Etats-Unis et l'Algérie – et d'être méprisé par le troisième, la France."
par Anne Collet et Anthony Bellanger, http://courrierinternational.com/article.asp?obj_id=79403
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