18/03/2010 à 11h:18 Par Marianne Meunier
Le discours officiel n’a pas changé : Nouakchott est aussi proche de Rabat que d’Alger. La réalité est cependant bien différente.
Les autorités algériennes ne boudent pas leur plaisir. En rappelant, le 22 février, son ambassadeur au Mali, la Mauritanie les a devancées de quelques heures. Le 23 février, l’Algérie demande à son tour à son représentant à Bamako de rentrer au bercail.
Par leur geste quasi concomitant, mais non concerté, les deux États ont voulu exprimer leur profond désaccord avec une décision d’Amadou Toumani Touré, le président malien : la remise en liberté, le 21 février, de quatre islamistes radicaux détenus à Bamako en échange de la libération du Français Pierre Camatte, détenu par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) dans le nord du Mali. Motif du désaccord : le groupe de détenus relâchés compte deux ressortissants algériens et un mauritanien, tous trois réclamés par la justice de leur pays.
L’Algérie se réjouit-elle de peu ? Pas vraiment : que Nouakchott partage sa position rend la sienne encore plus crédible. C’est aussi un geste de solidarité. Et la preuve, pour Alger, que la Mauritanie n’est pas totalement entrée dans le giron marocain. Bref, pour comprendre la satisfaction algérienne, il faut faire un détour par le sempiternel dossier du Sahara occidental, sur lequel s’opposent Rabat et Alger.
Les autorités algériennes ne boudent pas leur plaisir. En rappelant, le 22 février, son ambassadeur au Mali, la Mauritanie les a devancées de quelques heures. Le 23 février, l’Algérie demande à son tour à son représentant à Bamako de rentrer au bercail.
Par leur geste quasi concomitant, mais non concerté, les deux États ont voulu exprimer leur profond désaccord avec une décision d’Amadou Toumani Touré, le président malien : la remise en liberté, le 21 février, de quatre islamistes radicaux détenus à Bamako en échange de la libération du Français Pierre Camatte, détenu par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) dans le nord du Mali. Motif du désaccord : le groupe de détenus relâchés compte deux ressortissants algériens et un mauritanien, tous trois réclamés par la justice de leur pays.
L’Algérie se réjouit-elle de peu ? Pas vraiment : que Nouakchott partage sa position rend la sienne encore plus crédible. C’est aussi un geste de solidarité. Et la preuve, pour Alger, que la Mauritanie n’est pas totalement entrée dans le giron marocain. Bref, pour comprendre la satisfaction algérienne, il faut faire un détour par le sempiternel dossier du Sahara occidental, sur lequel s’opposent Rabat et Alger.
Relations symétriques
Depuis que Nouakchott a renoncé à ses prétentions sur la région – en 1979, après trois ans de guerre –, Marocains et Algériens scrutent chacun de ses gestes envers le voisin. Un émissaire de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) – reconnue par la Mauritanie en février 1984 – est reçu à Nouakchott, et c’est l’Algérie qui se frotte les mains, considérant que la Mauritanie soutient, comme elle, les indépendantistes du Polisario. Un député à Nouakchott propose que son pays cesse de reconnaître la RASD, et c’est Rabat qui croit avoir remporté une victoire sur Alger. Au moindre mouvement, Nouakchott est soupçonné de prendre fait et cause pour un camp.
Pris en tenailles entre deux voisins qui lui sont indispensables, la « petite » Mauritanie, avec ses 3 millions d’habitants, a choisi une position subtile : la « neutralité ». En clair, des émissaires de la RASD peuvent être accueillis à Nouakchott, mais la réciproque n’aura pas lieu : les responsables mauritaniens ne se rendront pas au Sahara occidental. Avec Alger et Rabat, les relations sont symétriques, encadrées d’un côté par une Haute Commission maroco-mauritanienne, et de l’autre par une Grande Commission mixte algéro-mauritanienne. Quand un haut responsable mauritanien se rend au Maroc, Nouakchott tâche d’en faire autant avec l’Algérie, et inversement. « C’est la position la plus difficile à tenir, mais nous n’avons pas le choix », explique un ancien dirigeant d’un média public. La Mauritanie craint une déstabilisation orchestrée par un camp au cas où elle prendrait parti pour l’autre.
Depuis l’arrivée au pouvoir de Mohamed Ould Abdelaziz, par le putsch du 6 août 2008, les nombreux observateurs des relations entre la Mauritanie et ses voisins du Nord voient la balance pencher en faveur du Maroc. Ils en veulent pour preuves les origines et le parcours d’« Aziz » : issu des Ouled Besbah, une tribu du nord de la Mauritanie qui compte beaucoup de ressortissants au Maroc, il est un ancien élève de l’Académie royale militaire de Meknès. En outre, le père de son épouse a longtemps vécu au Maroc. « Aziz est prédisposé à préférer le Maroc à l’Algérie », estime un observateur mauritanien. En tout cas, le Maroc lui témoigne sa bienveillance : dès le 11 août 2008 – cinq jours après le coup d’État –, le roi envoie un émissaire à Aziz, Yassine Mansouri, patron de la Direction générale des études et de la documentation (DGED, les services de renseignements extérieurs).
Avec la même promptitude, l’Algérie, de son côté, condamne le putsch. Le 13 août 2008, le président Abdelaziz Bouteflika refuse de recevoir le numéro deux de la junte, Mohamed Ould Ghazouani, venu chercher sa bénédiction. Le ministre délégué algérien chargé des Affaires africaines et maghrébines, Abdelkader Messahel, lui signifie en revanche la position algérienne : la Mauritanie doit revenir à l’ordre constitutionnel. Une exigence rappelée ensuite par le commissaire du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA), Ramtane Lamamra, et par l’envoyé spécial de l’ONU en Afrique de l’Ouest, Saïd Djinnit, tous deux Algériens, et qui n’assoupliront leur position qu’à la fin de 2008.
Diplomatie ambiguë
Le rapprochement avec le Maroc, pressenti à l’époque du putsch, semble néanmoins se concrétiser. En octobre dernier, Yassine Mansouri est de nouveau reçu par Mohamed Ould Abdelaziz. Trois semaines plus tard, c’est au tour du ministre marocain des Affaires étrangères, Taïeb Fassi Fihri, d’être accueilli à Nouakchott. Deux visites de haut niveau sans contrepartie algérienne.
Plus symbolique, l’« affaire » de décembre dernier. L’ambassadeur mauritanien à Rabat, Cheikh el-Avia Ould Mohamed Khouna, ex-Premier ministre et ex-ministre des Affaires étrangères, se rend à Dakhla, au Sahara occidental. « Je suis convaincu que la ville se construit un avenir prometteur », déclare-t-il. Du point de vue d’Alger, c’est un soutien à la politique de Rabat dans la région et une rupture de la position de neutralité. Le diplomate n’a pas pu se déplacer sans l’aval du chef de l’État.
Officiellement, la neutralité est toujours de mise. Le discours n’a pas changé. Cependant, « le rapprochement avec le Maroc, tout le monde le constate ici », témoigne une source en Mauritanie. Procède-t-il d’une volonté politique ? Tacite, peut-être. Mohamed Ould Maouloud, président de l’Union des forces de progrès (UFP), dans l’opposition, préfère voir là un « glissement » qui s’inscrit dans une politique extérieure mauritanienne « éclectique ». « Cela fait partie des ambiguïtés de la diplomatie d’Aziz, qui renoue avec Téhéran et s’entend bien avec les Occidentaux », renchérit une source. Des ambiguïtés dont l’Algérie n’a pas pris ombrage. Comme si les Mauritaniens s’inquiétaient plus que de raison sur un dossier qui nourrit tous les fantasmes.
Depuis que Nouakchott a renoncé à ses prétentions sur la région – en 1979, après trois ans de guerre –, Marocains et Algériens scrutent chacun de ses gestes envers le voisin. Un émissaire de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) – reconnue par la Mauritanie en février 1984 – est reçu à Nouakchott, et c’est l’Algérie qui se frotte les mains, considérant que la Mauritanie soutient, comme elle, les indépendantistes du Polisario. Un député à Nouakchott propose que son pays cesse de reconnaître la RASD, et c’est Rabat qui croit avoir remporté une victoire sur Alger. Au moindre mouvement, Nouakchott est soupçonné de prendre fait et cause pour un camp.
Pris en tenailles entre deux voisins qui lui sont indispensables, la « petite » Mauritanie, avec ses 3 millions d’habitants, a choisi une position subtile : la « neutralité ». En clair, des émissaires de la RASD peuvent être accueillis à Nouakchott, mais la réciproque n’aura pas lieu : les responsables mauritaniens ne se rendront pas au Sahara occidental. Avec Alger et Rabat, les relations sont symétriques, encadrées d’un côté par une Haute Commission maroco-mauritanienne, et de l’autre par une Grande Commission mixte algéro-mauritanienne. Quand un haut responsable mauritanien se rend au Maroc, Nouakchott tâche d’en faire autant avec l’Algérie, et inversement. « C’est la position la plus difficile à tenir, mais nous n’avons pas le choix », explique un ancien dirigeant d’un média public. La Mauritanie craint une déstabilisation orchestrée par un camp au cas où elle prendrait parti pour l’autre.
Depuis l’arrivée au pouvoir de Mohamed Ould Abdelaziz, par le putsch du 6 août 2008, les nombreux observateurs des relations entre la Mauritanie et ses voisins du Nord voient la balance pencher en faveur du Maroc. Ils en veulent pour preuves les origines et le parcours d’« Aziz » : issu des Ouled Besbah, une tribu du nord de la Mauritanie qui compte beaucoup de ressortissants au Maroc, il est un ancien élève de l’Académie royale militaire de Meknès. En outre, le père de son épouse a longtemps vécu au Maroc. « Aziz est prédisposé à préférer le Maroc à l’Algérie », estime un observateur mauritanien. En tout cas, le Maroc lui témoigne sa bienveillance : dès le 11 août 2008 – cinq jours après le coup d’État –, le roi envoie un émissaire à Aziz, Yassine Mansouri, patron de la Direction générale des études et de la documentation (DGED, les services de renseignements extérieurs).
Avec la même promptitude, l’Algérie, de son côté, condamne le putsch. Le 13 août 2008, le président Abdelaziz Bouteflika refuse de recevoir le numéro deux de la junte, Mohamed Ould Ghazouani, venu chercher sa bénédiction. Le ministre délégué algérien chargé des Affaires africaines et maghrébines, Abdelkader Messahel, lui signifie en revanche la position algérienne : la Mauritanie doit revenir à l’ordre constitutionnel. Une exigence rappelée ensuite par le commissaire du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA), Ramtane Lamamra, et par l’envoyé spécial de l’ONU en Afrique de l’Ouest, Saïd Djinnit, tous deux Algériens, et qui n’assoupliront leur position qu’à la fin de 2008.
Diplomatie ambiguë
Le rapprochement avec le Maroc, pressenti à l’époque du putsch, semble néanmoins se concrétiser. En octobre dernier, Yassine Mansouri est de nouveau reçu par Mohamed Ould Abdelaziz. Trois semaines plus tard, c’est au tour du ministre marocain des Affaires étrangères, Taïeb Fassi Fihri, d’être accueilli à Nouakchott. Deux visites de haut niveau sans contrepartie algérienne.
Plus symbolique, l’« affaire » de décembre dernier. L’ambassadeur mauritanien à Rabat, Cheikh el-Avia Ould Mohamed Khouna, ex-Premier ministre et ex-ministre des Affaires étrangères, se rend à Dakhla, au Sahara occidental. « Je suis convaincu que la ville se construit un avenir prometteur », déclare-t-il. Du point de vue d’Alger, c’est un soutien à la politique de Rabat dans la région et une rupture de la position de neutralité. Le diplomate n’a pas pu se déplacer sans l’aval du chef de l’État.
Officiellement, la neutralité est toujours de mise. Le discours n’a pas changé. Cependant, « le rapprochement avec le Maroc, tout le monde le constate ici », témoigne une source en Mauritanie. Procède-t-il d’une volonté politique ? Tacite, peut-être. Mohamed Ould Maouloud, président de l’Union des forces de progrès (UFP), dans l’opposition, préfère voir là un « glissement » qui s’inscrit dans une politique extérieure mauritanienne « éclectique ». « Cela fait partie des ambiguïtés de la diplomatie d’Aziz, qui renoue avec Téhéran et s’entend bien avec les Occidentaux », renchérit une source. Des ambiguïtés dont l’Algérie n’a pas pris ombrage. Comme si les Mauritaniens s’inquiétaient plus que de raison sur un dossier qui nourrit tous les fantasmes.
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