Saturday, June 16, 2007

Sahara occidental : le coût du conflit
Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°65 11 juin 2007

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SYNTHÈSE
Le conflit du Sahara occidental est l’un des plus anciens et l’un des plus négligés du monde. Plus de trente ans après son déclenchement, qui se traduira par une guerre, des déplacements de population et le cessez-le-feu de 1991 qui a figé les positions militaires, l’issue de ce conflit paraît toujours aussi lointaine. Pour beaucoup, cela tient au fait que pour la plupart des acteurs concernés – le Maroc, l’Algérie, le Front Polisario, ainsi que les pays occidentaux – le maintien du statut quo offre des avantages qu’un règlement risque de bouleverser et l’enlisement du dossier génère à l’évidence des bénéfices pour chacune des parties. Mais le conflit a ses victimes et ses coûts, humains, politiques et économiques, pour les pays concernés, pour la région et pour la communauté internationale. Il est important de le rappeler afin qu’une dynamique de résolution de conflit puisse enfin se déclencher.
Selon les calculs des diverses parties, le coût de cette impasse semble supportable. C’est la raison pour laquelle ce conflit peut compter désormais parmi les “conflits gelés” qui mobilisent peu, pour lesquels on s’engage peu, et dont on peut à l’évidence supporter l’enlisement. Surtout, les coûts supposés semblent de loin inférieurs à ceux qu’impliquerait une solution défavorable à l’une ou l’autre des parties. Un règlement défavorable au Maroc pourrait avoir des conséquences internes très importantes car la monarchie a réussi à faire de ce dossier un puissant ferment d’unité nationale et un moyen de contrôler les rivaux de pouvoir qu’étaient les partis politiques et l’armée. Un règlement défavorable au Polisario pourrait aboutir à la disparition de ce mouvement en tant qu’organisation politique et à la nécessité de composer avec les notabilités sahraouies qui ont déjà pactisé depuis longtemps avec le Maroc. Cela signifierait en outre que les réfugiés sahraouis qui vivent à Tindouf en Algérie auraient vécu dans des camps pendant trente années pour rien. Enfin, un règlement défavorable à l’Algérie signifierait pour celle-ci la perte d’un levier dans ses relations avec le Maroc, ainsi que la défaite de principes défendus depuis maintenant plus de trente ans.
Ces calculs ignorent toutefois le prix très élevé que tous, les États mais aussi et surtout les populations, paient. Les Sahraouis des camps de Tindouf vivent dans l’exil, l’isolement et le dénuement ; ils se sentent chaque jour davantage oubliés par la communauté internationale ; ils vivent sous l’autorité d’une structure étatique en exil faiblement démocratique (le Polisario et la République arabe sahraouie démocratique), dont certains dirigeants sont soupçonnés de s’enrichir en détournant les aides internationales. Le Polisario doit également faire face aux grondements intensifiés d’une base dont le moral et l’unité faiblissent après des années de paralysie et d’immobilisme. Les Sahraouis de la partie du territoire contrôlée par le Maroc (environ 85 pour cent) vivent dans des conditions matérielles plus satisfaisantes, notamment grâce aux lourds investissements consentis par le royaume chérifien. Néanmoins, il leur est pratiquement impossible d’exprimer des opinions autres que pro-marocaines. Les autorités marocaines étouffent toute revendication d’indépendance par des moyens violents, recourant fréquemment à la torture et à des arrestations arbitraires, notamment à l’encontre des militants des droits de l’Homme. Le gouvernement s’est plusieurs fois opposé à la venue de délégations internationales désireuses d’observer la situation au Sahara occidental et a, à plusieurs reprises, expulsé des journalistes étrangers. Les nombreux avantages accordés par Rabat aux Marocains qui s’installent au Sahara occidental attire des populations du nord du Maroc. La balance démographique en est chamboulée : les Sahraouis seront très prochainement minoritaires sur leurs terres, ce qui renforce leur sentiment de dépossession.
Les Marocains supportent eux aussi des coûts importants. Des centaines de militaires marocains ont été détenus et torturés par le Polisario. La plupart sont restés prisonniers très longtemps. Le coût économique est exorbitant (budget militaire, investissement dans les “Provinces du sud”, exonérations fiscales, salaires des fonctionnaires plus élevés), ce qui a certainement obéré la capacité du Maroc à se développer – un manque à gagner d’autant plus grave que la pauvreté qui règne dans les bidonvilles suscite l’essor d’un mouvement islamiste salafiste.
Pour l’Algérie, la note se mesure surtout sur le plan de l’investissement économique (aide aux réfugiés, dons de matériel militaire) et diplomatique (consenti, parfois, au prix d’autres intérêts), mais aussi à celui de l’existence, à ses frontières occidentales, d’un foyer de tension majeur. La Mauritanie a payé le dossier saharien par le coup d’État de 1978, qui inaugura une longue période de volatilité institutionnelle ; la question du Sahara occidental demeure pour Nouakchott un épineux problème et une source potentielle d’instabilité.
Le coût global pour la région est lui aussi important dans la mesure où ce dossier contribue au blocage de l’Union du Maghreb arabe, ce qui génère des retards en termes d’intégration économique, de faiblesse des investissements étrangers et de perte de points de croissance du PIB. Plus grave peut être, la zone mal gouvernée qui comprend le Sahara occidental, le nord de la Mauritanie et le sud-ouest algérien devient une zone de trafics très inquiétante qui souffre du peu de coopération en matière de sécurité. Enfin, la communauté internationale doit supporter les frais du maintien d’une force d’observation et d’une aide économique, sans parler du discrédit qui frappe l’ONU.
Briser l’impasse requiert de la part des différentes parties qu’elles réalisent le prix de ce cul-de-sac en termes humains, sociaux, économiques, politiques et sécuritaires. C’est l’objet de ce rapport que d’en dresser la liste. Sortir de l’impasse nécessite également que l’on modifie les dynamiques maintenant bien établies et, dans un sens, confortables pour toutes les parties. C’est le sujet d’un deuxième rapport qui accompagne celui-ci.*
Le Caire/Bruxelles 11 juin 2007

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